Malgré tous les efforts de recherche et d’analyse, depuis longtemps déployés par une multitude d’historiens et de maçonnologues avertis, nul ne peut encore de nos jours prétendre dresser une histoire complète et incontestable1 de la Franc-Maçonnerie. Nul ne peut encore affirmer, sans risque de s’égarer, que les tailleurs de pierre, maçons et constructeurs de cathédrales ont été des « francs-maçons », dans la lignée des francs-métiers, plutôt que des « maçons libres » – libres, s’entend, de naissance et de servage.
Ce qu’il est toutefois possible d’admettre, parce qu’il est relativement aisé de le constater, c’est que l’époque médiévale, si propice à la construction des grands édifices religieux, a vu naître et se développer quantité de sociétés, guildes, associations ou communautés de métierso; que celles-ci, motivées par des obligations sociales ou corporatives, ont rassemblé des maîtres d’œuvre, des compagnons et des apprentis auxquels elles ont imposé des principes de vertu, de probité, de comportement moral tant profane que religieux.
Il n’existe, apparemment, aucun lien historique ou sociétal entre les Maîtres du mur et de la charpente de Bologne, œuvrant au XIIIe siècle, les maçons opératifs écossais placés sous l’autorité de William Schaw à la fin du XVIe, et les membres de la jeune Fraternité des Francs-Maçons de Londres, fêtant la Saint-Jean Baptiste le 24 juin de l’année 1717. Il semble bien, toutefois, que tous ces hommes, voués à la construction matérielle ou morale de la société aient été animés par la même foi et la même détermination d’atteindre la même vérité ; tout en étant régis, dans la pratique du métier, par des règles sensiblement analogues.
L’important, pour le franc-maçon d’aujourd’hui, n’est pas tant de savoir avec certitude d’où il vient, que de connaître et de comprendre les motivations de maîtres de pensée et d’action depuis longtemps disparus qui utilisaient d’une façon ou d’une autre les mêmes outils, les mêmes symboles que continuent à lui proposer les rites et les rituels.
C’est la raison qui nous a conduit à une lecture approfondie des textes disponibles concernant les sociétés médiévales, les confréries de la construction, les fraternités maçonniques, tant opératives que spéculatives. Nous en livrons, dans ce recueil, la partie la plus significative, faute de pouvoir les reproduire tous dans leur intégralité.
Notre étude commence avec les « Statuts des Maîtres du Mur et de la Charpente » de Bologne, datés de 1248, pour s’achever avec le premier article de gazette français concernant les pratiques des Frey-Maçons, publié en 1737. Nous avons jugé indispensable la présen- tation des « Constitutions des Francs-Maçons 2 » établies par le pasteur James Anderson (1723)o; ainsi que celle de la « Maçonnerie disséquée », de Samuel Prichard (1730), contenant de façon extensive les catéchismes des trois grades symboliques.
Dans nos traductions, toutes inédites, nous nous sommes efforcé d’être fidèle au texte originel, tout en faisant usage, avec simplicité, d’un français moderne permettant au lecteur de déterminer, en toute liberté, et selon ses propres conclusions, les origines et la pratique de la Franc-Maçonnerie, telles que nous les connaissons aujourd’hui.
Guy Chassagnard
––––––––––––
NOTES
1 - Une étude réalisée en 1909, portant sur les ouvrages de 206 auteurs maçonniques, a permis de constater que : 28 faisaient remonter les origines de la Franc-Maçonnerie aux constructeurs de cathédrales, 18 en Égypte, 12 aux templiers, 11 aux rois anglo-saxons, 10 aux premiers chrétiens et… 20 aux premiers jours de la création ; les autres n’osant alors se prononcer.
2 - Si la première édition du Livre des Constitutions a pour titre « Les Constitutions des Francs-Maçons » (The Constitutions of the Free-Masons), la seconde, datée de 1738, se présente comme « Le nouveau Livre des Constitutions de l’ancienne et honorable Fraternité des Maçons libres et acceptés » (The New Book of the Ancient and Honourable Fraternity of the Free and Accepted Masons).
Bien que nous refusant à prendre partie dans la querelle sémantique née entre les « Francs-Maçons » français et les « Free Masons » (ou Maçons libres) anglais, nous souhaitons attirer l’attention du lecteur sur deux points :
- Le premier concerne cette Ordonnance de Louis X, Le Hutin (1289-1316), promulguée le 3 juillet 1315, selon laquelle, agissant au nom du « Droit de Natureo», le roi de France et de Navarre affirme que chacun dans son royaume, dit et nommé « Royaume des Francs », doit lui-même « naître franc », c’est-à-dire libre, sans servitudes. Selon le souverain, qui s’adresse pour exécution de ses volontés à ses sénéchaux et à ses baillis, il y a lieu que « la franchise soit donnée à bonnes et à convenables conditions ».
- Le second est tiré du plus ancien texte connu des Devoirs anglais, savoir le Manuscrit Regius (ou Halliwell), daté de la fin du XIVe siècle. Il y est clairement spécifié que « le maître doit bien veiller à ne pas prendre de serf comme apprenti, ni à en engager un par obstination, car le seigneur à qui le serf est lié peut venir le chercher où qu’il se trouve ». Il y est encore dit que « l’apprenti doit être bien né, de naissance légitime ».