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LE LIVRE DES MÉTIERS (1268)


Transcription inédite en français moderne.


Étienne Boileau, Garde de la prévôté de Paris, à tous les bourgeois et à tous les résidents de Paris, et à tous ceux qui dedans les bornes de ces mêmes lieux viendront, et qui seront concernés, salut…


Des maçons, des tailleurs de pierre, 

des plâtriers et des morteliers.


1. -  Quiconque le souhaite peut être maçon à Paris, pour autant qu’il connaisse le métier et qu’il en respecte les us et coutumes, qui sont :

2. -  Nul ne peut avoir en son métier qu’un apprenti, et s’il a un apprenti, il ne peut le prendre pour un service de moins de six annéeso; mais il peut le prendre plus longtemps contre argent2. Et s’il lui arrivait de le prendre moins de six années, il devrait payer une amende de vingt sous parisis3 à la chapelle Saint-Blaise4, à moins qu’il ne s’agisse de ses fils nés d’un mariage régulier.

3. -  Le maçon peut prendre un autre apprenti si, comme le premier, il a accompli cinq années d’apprentissage, dans les mêmes conditions que le premier a été pris.

4. -  Le roi qui règne actuellement, Dieu lui accorde bonne vie, a donné la maîtrise des maçons à Maître Guillaume de Saint Patu, tant et comme il lui plaira. Lequel Maître Guillaume a juré à Paris, en loge5 du Palais, qu’il gardera bien et loyalement le métier en son pouvoir, tant pour le pauvre que pour le riche, pour le faible que pour le fort, ceci tant qu’il plaira au roi qu’il garde le métier. 

Et puis Maître Guil­lau­me a fait le même serment devant le prévôt de Paris, au Châtelet.

5. -  Le mortelier et le plâtrier sont régis selon les mêmes règles que les maçons, ceci en toutes choses. 

6. -  Le maître qui garde le métier des maçons, des morteliers et des plâtriers de Paris, de par le roi, peut avoir deux apprentis seulement, selon la manière dite ci-dessus ; et s’il prenait plus d’apprentis, il ferait l’objet d’une amende comme indiqué ci-dessus.

7. -  Les maçons, les morteliers et les plâtriers peuvent avoir autant d’aides et de valets6 qu’il leur plaît, pour autant qu’ils ne leur montrent point les us du métier.

8. -  Tout maçon, tout mortelier, tout plâtrier doit jurer sur les saints qu’ils pratiquera bien et loyalement le métier, chacun pour ce qui le concerne, et que s’il apprend que quel­qu’un n’agit pas selon les us et coutumes du métier, il le fera savoir au maître à chaque infraction constatée, ceci sous serment.

9. -  Le maître dont l’apprenti à accompli son temps d’apprentissage doit venir devant le maître du métier, et témoigner que son apprenti a bien et loyalement rempli son service ; dès lors le maître qui garde le métier doit faire jurer à l’apprenti, sur les saints, qu’il respectera, bien et loyalement, les us et coutu­mes du métier.

10. -  Nul ne peut travailler après midi (nonne) sonné à Notre-Dame en charnage7, et en carême le samedi, puis lorsque les vêpres ont été chantées à Notre-Dame, si ce n’est à une arche ou un escalier fermé, ou à une huisserie donnant sur la rue. 

Si quelqu’un travaillait hors des heures et des ouvrages cités ci-dessus ou nécessaires, il aurait à payer une amende de quatre deniers au maître qui garde le métier ; et on pourrait, pour amende, lui saisir ses outils en cas de récidive. 

11. -  Le mortelier et le plâtrier appartiennent à la juridiction du Maître qui garde le métier de par le roi.

12. -  Si un plâtrier livre du plâtre à un maçon, il doit prendre garde que la mesure de plâtre soit bonne et loyale ; et s’il y a un doute, il doit le mesurer ou le faire mesurer devant lui ; et s’il se trouve que la mesure n’est pas bonne, le plâtrier paiera une amende de cinq sous, savoir deux sous à la chapelle Saint-Blaise, deux sous au Maître du métier, et douze deniers à celui qui aura mesuré le plâtre. 

13. -  Nul ne peut être plâtrier à Paris s’il ne paie pas cinq sous parisis au Maître qui garde le métier de par le roi. Et quand il paie les cinq sous, il doit jurer sur les saints qu’il ne mettra rien avec le plâtre, et qu’il livrera de bonnes et loyales mesures. 

14. -  Si le plâtrier ajoute à son plâtre autre chose que ce qu’il doit y mettre, il aura à payer une amende de 5 sous à chaque infraction. Et si le plâtrier est coutumier du fait et ne veut s’amender, le Maître peut lui interdire d’exercer le métiero; et si le plâtrier n’accepte pas d’abandonner le métier, le Maître doit le faire savoir au prévôt de Paris, et ledit prévôt devra procéder à son expulsion du métier.

15. -  Le mortelier doit jurer devant le Maître du métier, et par devant d’autres prudhommes du métier, qu’il ne fera que du mortier de bon aloi ; et que s’il le fait d’autre pierre, et que le mortier est déprécié, il devra verser une amende de quatre deniers au Maître du métier. 

16. -  Le mortelier ne peut prendre d’apprenti pour un service de moins de six ans, et un prix de service de cent sous pour lui apprendre. 

17. -  Le Maître du métier dispose de la petite justice et des amendes des maçons, des plâtriers et des morteliers, de leurs aides et de leurs apprentis, tant qu’il plaira au roi.

18. -  Si l’un des métiers susdits est cité à comparaître devant le Maître qui garde le métier se montre défaillant, il devra payer au Maître une amende de quatre deniers ; 

S’il comparaît et reconnaît ses torts, il doit donner un gage de garantieo; s’il ne paie pas dans les huit jours il devra payer une amende de quatre deniers au Maître ; 

Et s’il nie et qu’il a tort, il devra payer quatre deniers au Maître.

19. -  Le Maître qui garde le métier ne peut lever qu’une amende pour querelle. Et si celui à qui l’amende a été infligée est si rebelle et si fort qu’il ne veut obéir aux ordres du Maître ou refuse de la payer, le Maître peut lui interdire d’exercer le métier.

20. -  Si un membre quelconque du métier, à qui il serait interdit de l’exercer, venait à passer outre l’interdiction, le Maître [du métier] pourrait saisir ses outils et les détenir tant que n’aurait pas été payé d’amende. 

Et si le contrevenant voulait encore travailler, le Maître devrait le faire savoir au prévôt de Paris qui pourrait recourir à la force.

21. -  Les maçons et les plâtriers doivent le guet, la taille et autres redevances que les bourgeois de Paris doivent au roi.

22. -  Les morteliers sont quittes du guet, ainsi que les tailleurs de pierre, ceci depuis le temps de Charles Martel, comme les prudhommes l’ont ouï-dire de père en fils.

23. -  Le Maître qui garde le métier de par le roi est quitte du guet en raison de la fonction qu’il occupe.

24. -  Ceux qui ont passé quarante ans ne doivent pas le gueto; mais ils doivent le faire savoir à celui qui garde le guet de par le roi.

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NOTES

1 -  Mortelier - Ouvrier ou artisan qui prépare le mortier pour le maçon.

2 -  Il était de règle jadis qu’à la conclusion du contrat d’apprentissage le maître reçoive une somme (le prix de service) pour couvrir les premiers frais de l’apprentio; il devait ensuite considérer celui-ci comme son fils, et lui assurer le couvert, le gîte et l’habillement. L’apprenti, quant à lui, n’était pas payé pour son travail.

3 -  1 livre = 20 sous = 240 deniers. En 1360, la livre est devenue «ofranco».

4 -  Saint Blaise de Sébaste - Saint patron des tailleurs de pierre et des maçons.

5 -  Loge du Palais - Chambre ou salle ; le terme signifie encore, en vieux français, abri, tente, cabane, tribune.

6 -  Au temps d’Étienne Boileau, les métiers sont généralement divisés en trois classes distinctes : les apprentis (dont l’apprentissage dure de cinq à huit ans), les ouvriers (qui ont fini leur apprentissage mais n’ont pas les moyens de s’installer), et les maîtres (qui emploient des apprentis et des ouvriers).

7 -  En charnage - Période de la semaine pendant laquelle on peut manger de la viande.

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