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LE MANUSCRIT CHETWODE CRAWLEY (1700)


Traduction inédite de l’anglais.


Le grand secret ou la manière  de donner le Mot de Maçon.


En premier lieu, vous devez faire mettre le postulant qui va recevoir le « Mot » à genoux et, après forces cérémonies destinées à l’effrayer, vous lui faites prendre la Bible ; et, plaçant sa main droite dessus, vous devez l’exhorter au secret, en le menaçant de ce que, s’il vient à violer son serment, le soleil dans le firmament et toute la Compagnie témoigneront con­tre lui, ce qui sera la cause de sa damnation, et qu’aussi bien ils [les maçons] ne manqueront pas de le tuer. 

Puis, après qu’il a promis [de garder] le secret, on lui fera prêter serment comme suit.


Les mots sont Jachin et Boaz


« Par Dieu lui-même, puisque vous aurez à répondre à Dieu quand vous vous tiendrez nu devant lui au jour suprême, vous ne révélerez aucune partie de ce que vous allez entendre ou voir maintenant, ni oralement, ni par écrit.

« Vous ne le mettrez jamais par écrit, ni ne le tracerez avec la pointe d’une épée, ni avec aucun instrument, que ce soit sur la neige ou sur le sable, et vous n’en parlerez pas, si ce n’est avec un Maçon entré [entered Mason .

« Que Dieu [vous] soit en aide ».


Après qu’il a prêté ce serment, il [le postulant] est emmené hors de la Compagnie avec le plus jeune maçon ; et quand il a été suffisamment effrayé, par mille postures et grimaces ridicules1, il doit apprendre dudit maçon la manière de se tenir à l’ordre, ce qui constitue le signe, les paroles et les postures de son entrée, ceci comme suit :

« Me voici, moi le plus jeune et le dernier Apprenti entré, qui viens jurer par Dieu et par saint Jean, par l’équerre, le compas et la jauge commune, d’être au service de mon Maître, à l’honorable Loge, du lundi matin au samedi soir, et d’en garder les clefs, sous une peine qui ne saurait être moindre que d’avoir la langue coupée sous le menton, et d’être enterré sous la limite des hautes marées, où nul ne saura [trouver ma tombe] ».

Alors, il fait à nouveau le signe, en tirant la main sous le menton, devant la gorge ; ce qui signifie qu’il serait égorgé au cas où il manquerait à sa parole. Ensuite tous les maçons présents se murmurent l’un à l’autre le Mot, en commençant par le plus jeune, jusqu’à ce qu’il arrive au Maître Maçon, qui le donne à l’apprenti entré.

Maintenant, il nous faut remarquer que tous les signes et les mots, dont on vient de parler appartiennent seulement à l’ap­prenti entré. Pour le Maître Maçon ou le Compagnon du Métier, il y a plus à faire, comme il suit.

D’abord tous les apprentis doivent être impérativement  conduits hors de la Compagnie, et il ne doit rester que des maîtres. Alors, celui qui doit être admis en tant que membre de la Fraternité doit s’agenouiller, et prêter le serment qui lui est à nouveau demandé. 

Il doit ensuite sortir de la Compagnie accompagné du plus jeune maître, pour apprendre les paroles et les signes du Compagnonnage. 

En rentrant, il fait le signe de maître et dit les mêmes paroles d’entrée que l’apprenti, en omettant seulement la jauge commune. 

Alors, les maçons se murmurent l’un à l’autre le Mot en commençant par le plus jeune comme précédemmento; après quoi le jeune maître doit avancer et prendre la posture dans laquelle il doit recevoir le Mot, et il dit à l’honorable Compagnie :

« Les respectables Maçons et l’honorable Compagnie d’où je viens, vous saluent bien, vous saluent bien ».

Alors, le Maître Maçon lui donne le Mot et lui serre la maino; après lui tous les maçons font de même, et c’est tout ce qu’il y a à faire pour constituer un parfait maçon [perfect mason].


Quelques questions que les maçons ont coutume de poser à ceux qui disent avoir le Mot, avant de les reconnaître.


Question. - Êtes-vous Maçono?

Réponse. - Oui, en effet, je le suis.


Q. - Comment le saurai-jeo?

R. - Vous le saurez en temps et lieu convenables.

Nota : La réponse précédente ne doit être faite qu’en présence de gens qui ne sont pas Maçons ; en l’absence de telles gens vous devrez répondre par signes et autres preuves d’entrée.


Q. - Quel est le premier pointo?

R. - Dites-moi le premier et je vous dirai le second.

Le premier est de celer et de cacher ; le second, sous une peine qui ne saurait être moindre que d’avoir la gorge coupée. Mais vous devez faire le signe quand vous dites cela.


Q. - Où avez-vous été reçu ?

R. - Dans une honorable Loge.


Q. - Qu’est-ce qui fait une Loge juste et parfaiteo?

R. - Sept Maîtres, cinq Apprentis entrés, à un jour de marche d’un bourg, là où l’on n’entend ni un chien aboyer, ni un coq chanter.


Q. - Ne peut-on pas former à moins une Loge juste et parfaiteo?

R. - Quatre Maîtres, trois Apprentis entrés, et le reste comme précédemment.


Q. - Et à moins [encore] ?

R. - Plus on est, plus on rit, et moins on est, meilleure est la chère.


Q. - Quel est le nom de votre Loge ?

R. - Loge de Kilwinning.


Q. - Comment se dresse votre Logeo?

R. - D’est en ouest, comme le Temple de Jérusalem.


Q. - Où s’est tenue la première Logeo?

R. - Dans le porche du Temple de Salomon.


Q. - Y-a-t-il des lumières dans votre Logeo?

R. - Trois, au nord-est, au sud-ouest, et au passage de l’est. La première désigne le Maître Maçon, la seconde le Surveillant2, et la troisième le Compagnon du Métier.


Q. - Y a-t-il des bijoux dans votre Logeo?

R. - Trois, un parpaing [perpendester], un pavé d’équerre [square pavement], et un marteau bretté3 [broked-mall].


Q. - Où trouverai-je la clef de votre Logeo?

R. - A trois pieds et demi de la Loge, sous le parpaing et une motte d’herbe verte [green divot].


Q. - Qu’entendez-vous par un parpaing et une motte d’herbe verte ?

R. - J’entends non seulement sous un parpaing et une motte d’herbe, mais sous le lobe de mon foie, là où gisent cachés tous les secrets de mon cœur.


Q. - Qu’est-ce que la clef de votre Logeo?

R. - Une langue bien pendue.


Q. - Où se trouve la clef de votre Logeo?

R. - Dans la boîte d’os.


Après que les Maçons vous ont examiné par quelques unes de ces questions, et que vous y avez répondu avec exactitude et fait le signe, ils vous reconnaîtront, non pour un Maître Maçon ou Compagnon du Métier, mais seulement pour un Apprenti . 

C’est pourquoi ils ajouteront :


Q. - Je vois que vous avez été dans la cuisine, mais je ne sais pas si vous avez été dans la salle à manger4.

R. - J’ai été dans la salle à manger et dans la cuisine.


Q. - Êtes-vous Compagnon du Métiero?

R. - Oui.


Q. - Combien y a-t-il de points du Compagnonnage ?

R. - Cinq, savoir : pied à pied, genou à genou, cœur à cœur, main à main, oreille à oreille.

Ce sont là les points du Compagnonnage. Et, par une poignée de main, vous serez reconnu pour un vrai Maçon.


Q. - Où trouve-t-on les motso?

R. - Au premier Livre des Rois, chapitre 7, verset 21o; et au second Livre des Chroniques. chapitre 3, dernier ver­set.

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NOTES

1 - Mille postures et grimaces ridicules - L’expression, énoncée précédemment dans le Manuscrit d’Édimbourg, fait bien partie de la rituélie opérative ; et n’est pas comme on aurait pu le penser, le fruit d’une réflexion hostile.

2 - Incompréhension du rédacteur du Manuscrit : il a écrit « words » (mots) pour «oWarden » (Surveillant).

3 - C’est par la lecture de cette réponse que l’on peut comprendre les mots « broked mall » (marteau bretté) et compléter le Manuscrit d’Édim­bourg (chapitre précédent).

4 - Voir note 9 du chapitre précédent.

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