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LE JOUR DE LA SAINT-JEAN (1717)


Traduction inédite de l’anglais.


La reine Anne 4 mourut sans héritier, à Kensington, le 1er août 1714. Elle était le dernier souverain de la descendance du roi Charles Ier sur le trône d’Angleterre ; car les autres descendants, étant catholiques, avaient été écartés par un acte du parlement accordant la couronne aux héritiers protestants de sa sœur, Elisabeth Stuart, reine de Bohème, et de sa fille la princesse Sophie, électrice de Brunswick-Lunebourg ; celle-ci étant morte peu avant la reine Anne, son fils L’Électeur lui succéda ledit 1er août 1714.

Le roi Georges5 arriva à Londres, dans la plus grande ma­gni­ficence, le 20 septembre 1714, après qu’ait pris fin la rébellion6. En l’année 1716, les quelques Loges de Londres [encore en activité], se considérant abandonnées par Sir Christopher Wren7, manifestèrent l’intention de constituer, sous la protection d’un Grand Maître, un centre d’union et d’harmonie. 

Dans ce but, ces Loges,

 - At the Goose and Gridiron - A l’Oie et au Gril, dans la cour de Saint-Paul,

- At the Crown - A la Couronne, dans Parker’s Lane, près de Drury-Lane,

- At the Apple-Tree Tavern - A la taverne du Pommier, dans Char­­les-Street, à Covent-Garden,

- At the Rummer and Grapes Tavern - A la taverne de la Coupe et des Raisins, dans Channel-Row, à Westminster,

Se réunirent avec quelques Frères anciens au dit « Pom­mier »; et ayant donné la présidence au plus âgé Maître Ma­çon, également Maître d’une Loge, elles se constituèrent en Grande Loge pro tempore [temporaire], en la forme accoutumée8. Elles décidèrent de ressusciter la Communication trimestrielle9 des Officiers des Loges, de tenir l’as­sem­blée et la fête annuelles, et de choisir alors un Grand Maître en leur sein, en attendant d’avoir l’honneur de placer un Frère noble à leur tête.


• En conséquence, le jour de la Saint-Jean Baptiste, dans la troisième année du règne de Georges Ier, soit en 1717, l’assemblée et la fête des Maçons libres et acceptés furent tenues à la susdite taverne de l’Oie et du Gril. Avant le dîner, le doyen des Maîtres Maçons et Maître de Loge, étant en chaire, proposa une liste de candidats convenables ; et les frères, par un vote à main levée, élurent M. An­thony Sa­yer, gentilhomme, Grand Maî­­tre des Ma­çons, lequel immédiatement revêtu des in­si­gnes de sa charge par ledit doyen, et installé [dans ses fonctions], fut congratulé par l’assemblée qui lui rendit hom­mage. 

Mr Jacob Lamball, char­pen­tier, et le ca­pi­taine Joseph El­liot [furent nommés] Grands Sur­­veillants. 

Le Grand Maître Sayer a ordonné aux Maîtres et aux Surveil­lants des Loges de se réunir chaque trimestre « en communicationo» au lieu dé­signé par les convocations envoyées par le Tuileur. 


•  Assemblée et fête, au même endroit, le 24 juin 1718. Le Frère Sayer, ayant rassemblé les votes a proclamé, après dîner et à haute voix, notre Frère George Payne Grand Maître des Maçons, qui a été régulièrement investi, installé, congratulé et honoré ; il a recommandé une application stricte des Communications trimestrielles [assemblée de quartier], et demandé aux frères d’apporter, à la Grande Loge, tous les vieux actes et documents concernant les Maçons et la Maçonnerie afin d’inventorier les usa­ges des temps anciens. 

Et pendant cette année, plusieurs exemplaires des « Constitutions gothiques » [Anciens Devoirs] ont été recensés et collationnés. 

M. John Cordwell, char­pentier municipal, et M. Thomas Morrice, tailleur de pierre, ont été dé­si­gnés Grands Surveillants.


• Assemblée et fête, au même endroit, le 24 juin 1719. Le Frè­re Payne, ayant rassemblé les votes, a proclamé après dîner notre Frère le révérend John Theophilus Desaguliers10, docteur en droit et membre de la Société Royale, Grand maître des Maçons ; dûment investi, installé, congratulé et honoré, celui-ci a rétabli les vieux Toasts et les anciennes Santés des Maçons libres. M. Antony Sayer, et M. Thomas Morrice ont été désignés Grands Surveillants. 

Plusieurs anciens Maçons, qui avaient négligé le Métier, sont revenus dans les Loges ; plusieurs membres de la noblesse ont également été faits Maçons, et de nouvelles Loges ont été constituées.


• Assemblée et fête, au même endroit, le 24 juin 1720. Le Frère Desaguliers ayant rassemblé les votes, a proclamé à nouveau, après dîner, à haute voix le Frère George Payne Grand maître des Maçons qui, dûment investi, installé, con­gratulé et honoré, a fait les démonstrations habituelles de joie, d’amour et d’harmonie. M. Thomas Hobby, tailleur de pierre, et M. Richard Ware, mathématicien, ont été désignés Grands Surveillants.

Cette année, au cours de Loges privées, plusieurs Manuscrits d’une grande valeur, concernant la Fraternité, les Loges, les Règlements, les Devoirs, les secrets et les usages (en particulier un document écrit par M. Nicholas Stone, le Surveillant de la Loge Inigo Jones) ont été trop hâtivement brûlés par certains frères trop scrupuleux, agissant ainsi pour que ces papiers ne puissent tomber en des mains profanes.

Il a été convenu, à la Communication trimestrielle [assemblée de quartier] ou Grande Loge, tenue solennellement le jour de la Saint-Jean l’Évangéliste 1720, que le nouveau Grand Maître sera, à l’avenir, proposé à la Grande Loge quelque temps avant la fête, par le présent Grand Maître ou un passé Grand Maître ; et s’il est accepté, le frère proposé sera aimablement salué, ou en cas d’absence, sa santé fera l’objet d’un toast en sa qualité de Grand Maître élu. 

Il a encore été décidé qu’à l’avenir le nouveau Grand Maître aura seul le pouvoir, dès qu’il aura été installé, de nommer ses Grands Surveillants ainsi qu’un Député Grand Maître, comme il était d’usage quand des frères nobles étaient Grands Maîtres. 


En conséquence,


• A la Grande Loge solennelle, tenue le Jour des Femmes 1721 [le 23 juin], au même endroit, le Grand Maître Payne a proposé pour successeur le noble frère John, duc de Montagu11, Maître d’une Loge qui, étant présent, a été reconnu com­me Grand Maître élu, et sa santé fêtée en la forme ac­cou­tu­­méeo; tous [les frères présents] ont manifesté une gran­de joie à l’idée d’être guidés par des Grands Maîtres de haute naissance, comme aux temps prospères de la Maçonnerie libre.

Le Grand Maître Payne, observant que le nombre des Loges est en augmentation, et que l’assemblée générale requiert plus d’espace, a proposé que les prochai­nes assemblées et fêtes aient lieu au « Stationers-Hallo»12 dans Lud­gate Streeto; ce qui a été accepté. Les Grands Sur- ­veillants ont ensuite été invités à préparer la fête, en se faisant aider par plusieurs Stewards qualifiés, et à désigner plusieurs frères comme servants de table, en raison de l’absence de tout étranger. 

Mais ces Grands Officiers n’ayant pu trouver un nombre convenable de Stewards, notre frère M. Josiah Villeneau, tapissier dans le bourg de Southwark, a généreusement pris en charge l’entreprise, assisté par quelques servants : Thomas Morrice, Francis Bailey, etc.


• Assemblée et fête à Stationers-Hall, le 24 juin 1721, dans la septième année du règne de Georges Ier. Le Grand Maître Payne, assisté par ses Surveillants, les Officiers, et les Maîtres et Surveillants de douze Loges, a rencontré le Grand Maître élu au cours d’une Grande Loge tenue le matin à la taverne des King’s Arms, dans la cour de Saint-Paul ; et, ayant entériné la désignation du Frère Montagu, ils ont constitué plusieurs nouveaux frères, particulièrement le respectable Philip, Lord Stanhope, maintenant Comte de Chesterfield. 

Et, à partir de là, ils ont fait une marche jusqu’au Hall, en costume de cérémonie et en la manière accoutumée ; ils y ont été reçus dans la joie par quelque 150 véritables Maçons, tous vêtus [revêtus de leurs décors].

Après que les grâces aient été dites, ils se sont assis dans la tradition ancienne des Maçons pour participer avec élégance à la fête, et banqueter avec joie et contentement. Après Dîner, et que les grâces aient dites, le Frère Payne, le Grand Maître sortant, a organisé une première « procession » autour du Hall, et à son terme, a proclamé notre Frère et Prince, John Montagu, duc de Montagu, Grand Maître des Maçons. 

Notre Frère Payne, ayant investi Sa Respectable Grâce, avec les insignes et décors de son office, l’a installé dans la chaire de Salomon, avant de s’asseoir à sa droite ; tandis que l’assistance reconnaissait l’autorité du duc, lui rendait hommage et lui adressait de cha­, leureuses con­gratulations, pour marquer le retour de la Maçonnerie à la prospérité.

Le Grand Maître Montagu a immédiatement invité, comme s’il ne l’avait pas informé auparavant, John Beal, médecin, à être son Député Grand Maître, que le Frère Payne a investi et installé dans la chaire d’Hiram Abbiff [Abif], à la gauche du Grand Maître. 

De la même manière, le très Respectable a appelé et appointé MM. Josiah Villeneau et Thomas Morrice, Grands Surveillants ; qui ont été investis et installés par les Grands Surveillants sortants. A la suite de quoi, le Député Grand Maître et les Surveillants ont été salués et congratulés.

Le Grand Maître Montagu, accompagné de ses Officiers et des Officiers sortants ont fait la seconde procession autour du Hall, le Frère Desaguliers a prononcé une oraison éloquente sur les Maçons  et la Maçonnerie ; puis après la manifestation d’une grande harmonie et des effets de l’amour fraternel le Grand Maître a remercié le Frère Villeneau pour le soin apporté à la fête, et l’a invité à fermer en sa qualité de Surveillant les travaux de la Loge.


• Une Grand Loge solennelle s’est tenue le 29 septembre 1721, à la taverne des King’s Arms, avec les Grands Officiers et les frères de seize Loges. Sa Grâce Respectable [le Grand Maître] et les Loges présentes, ayant relevé des erreurs dans les copies des anciennes Constitutions gothiques, ont deman­dé au Frère James Anderson, maître ès arts, de procéder aux corrections nécessaires dans une nouvelle et meilleure présentation.


• Grande Loge solennelle le jour de la Saint-Jean, le 27 décembre 1721, à ladite taverne des King’s Arms, avec les Grands Officiers et ceux [Officiers] de vingt Loges. Le Grand Maître, sur la demande de la Loge, y a appointé quatorze frè­res instruits pour examiner le manuscrit du Frère Anderson, et établir un compte-rendu. Cette Communication a été agrémentée par les planches de quelques vieux Maçons.


• Grande Loge solennelle à la Fontaine du Strand, le 25 mars 1722, avec les Grands Officiers et ceux de 24 Loges. Ledit comité des quatorze a rapporté qu’il avait examiné avec attention le manuscrit du Frère Anderson, c’est-à-dire « L’Histoire, les Devoirs, les Règlements et les chants de Maîtreo», et l’avait approuvé après quelques amendements. 

Sur quoi, la Loge a demandé au Grand Maître d’en ordonner l’impression. Dans le même temps, des hommes de toutes facultés et de toutes conditions, convaincus que le ciment de la Loge repose sur l’amour et l’amitié, ont instamment demandé à être faits Maçons, renforçant cette amicale fraternité que d’autres sociétés détruisent en d’âpres disputes. La bonne gouvernance du Grand Maître Montagu a con­vaincu la Loge de le reconduire dans ses fonctions pour une nouvelle annéeo; et de ce fait il a été décidé de maintenir la fête.


• Mais Philip, duc de Wharton13, fait récemment Maçon, convoitant la chaire [de Grand Maître] sans être Maître d’une Loge, est parvenu à réunir un certain nombre de Maçons à Stationers-Hall le 24 juin 1722. Ne disposant pas de Grand Officiers, les frères présents ont installé dans la chaire le doyen des Maîtres Maçons (qui n’était pas Maître de Loge) et sans le cérémonial habituel ; ledit vieux Maçon a proclamé à haute voix Philip Wharton, duc de Wharton, Grand Maître des Maçons. M. Joshua Timson, forgeron, et M. William Hawkins, Maçon, ont été nommés Grands Surveillants. 

Sa Grâce n’a pas désigné de Député Grand Maître, et la Loge n’a été ni ouverte ni fermée dans la forme accoutumée. En conséquence, tous les respectables frères qui ne voulaient pas accepter de telles irrégularités, ont ignoré l’autorité de Wharton, et attendu que le Frère Montagu porte remède à cette rupture d’harmonie, en convoquant


• Une Grande Loge, appelée à se tenir le 17 janvier 1723, à la taverne des King’s Arms, où le duc de Wharton, après avoir promis d’être loyal et sincère, le Député Grand Maître Beal a proclamé le très respectable Prince et Frère Philip Wharton, duc de Wharton, Grand Maître des Maçons ; qui a désigné le Dr Desaguliers, Député Grand Maître. Joshua Timson et James Anderson ont été désignés Grands Surveillants. 

Les Grands Officiers et ceux de vingt-cinq Loges ont témoigné leurs hommages. Le Grand Surveillant Anderson a présenté le «oNouveau Livre des Constitutions », désormais imprimé, qui a été approuvé, sous réserve de l’ajout de « L’Ancienne manière de constituer une Loge ».

La Maçonnerie connaissant l’harmonie, la renommée et le nombre, de nombreux nobles et gentlemen de haute lignée ont demandé à être admis dans la Fraternité, ainsi que d’autres hommes éclairés, marchands, membres du clergé et ouvriers, qui ont trouvé dans la Loge un endroit de plaisante relaxation, loin de l’étude, des affaires, et de la politique. Aussi le Grand Maître s’est-il vu contraint de constituer de nouvelles Loges, et de se montrer assidu dans la visite hebdomadaire des Loges, avec son Député et ses Surveillants ; et Sa Grâce s’est montrée très satisfaite de la manière aimable et respectueuse avec laquelle elle était reçue...

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NOTES

1 - Titre de l’ouvrage de 1723 : « The Constitutions of the Free-Masons, containing the History, Charges, Regulations of that most Ancient and Right Worshipful Fraternityo». L’ouvrage a 92 pages.

2 - Titre de l’ouvrage de 1738 : « The New Book of Constitutions of the Antient and Honourable Fraternity of Free and Accepted Masons, containing their History, Charges, Regulations, &c.o». L’ouvrage a 232 pages.

3 - James Anderson - Maître ès-arts et pasteur de l’Église pres­byté­rien­ne (1684-1739), d’origine écossaise, il fut chargé, en 1721, d’établir les premiers Règlements et Statuts de ce qui allait devait devenir la Grande Loge d’An­gleterre ; ses «oConstitutions » fu­rent pu­bliées dès 1723 ; une seconde édition, remaniée, devait paraître en 1738, avec certaines innovations dont une portant sur le grade de Maître. On pense généralement que si Anderson fut le rédacteur des Cons­titutions, il n’en fut pas, pour autant, le véritable auteur, la paternité de l’œuvre étant plutôt attribuée à Jean-Théophile Désa­gu­liers.

4 - Anne Stuart (1665-1714), fille de Jacques II d’Angleterre (1633-1701), a régné de 1702 à sa mort sur le trône d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Elle a succédé sur le trône à Guillaume III d’Orange (1650-1702) et à Marie II d’Angleterre (1662-1694).

5 - Georges Ier de Grande-Bretagne (1660-1727), qui régnera de 1727 à sa mort, est l’arrière-petit-fils de Jacques Ier Stuart (1566-1625), et le fils de Sophie de Bohème.

6 - Il s’agit de la rébellion jacobite ayant eu pour but de placer sur le trône de Grande Bretagne le Prétendant, Jacques-François-Édouard Stuart (1688-1766), fils de l’ex-roi Jacques II, déposé en 1688.

7 - Christopher Wren (1632-1723), architecte anglais renommé, qui fut chargé de construire la cathédrale Saint-Paul de Londres, et de reconstruire quelque 51 églises détruites par le grand incendie de 1666. Selon James Anderson, Wren aurait été « Grand Maître » des maçons londoniens.

8 - In due form (en la forme accoutumée) - La formule laisse à penser que la procédure de Grande Loge employée n’était pas nouvelle, mais dûment établie.

9 - Dans une note placée en regard de son texte, Anderson indique que la Communication trimestrielle (Quarterly Communication) est ainsi appelée parce qu’il s’en tient quatre par an ; quand elle se déroule en présence du Grand Maître, elle devient Loge in ample form (Loge solennelle), sinon elle n’est que Loge in due form (Loge ordinaire).

10 - John Theophilus Désaguliers (Jean Théophile) - Fils d’un pasteur protestant de La Rochelle (1683-1744), professeur de philosophie, ami de Newton, il joua un rôle déterminant dans le développement de la Maçonnerie spéculative ; il occupa la charge de Grand Maî­tre de la Grande Loge de Londres en 1719. En loge, dit-on, il était jovial, bon vi­vant et n’hésitait pas à pousser la chansonnette.

11 - John Montagu (1690-1749) - Second duc de Montagu, il fut maî­tre de la grande garde-robe du roi, docteur en médecine, général de cavalerie et, surtout, grand maître de la jeune Grande Loge de Londres – vers qui il dirigea de nombreux membres de la noblesse. Il assurait, en 1721, la grande maîtrise lorsque fut décidée la rédaction de nouvelles Constitutions de l’Or­dre, confiée au frère James Anderson. 

12 - Stationers Hall est depuis 1606 le siège de la Respectable Compagnie des Papetiers et Éditeurs de Journaux.

13 - Philippe Wharton (1698-1731) - Fils d’un éminent homme d’état il mena, jeune homme, la vie facile des aristocrates fortunés. Franc-maçon, il devint tout naturellement le second Grand Maître titré de la Grande Loge de Londres, en 1722. Mis à l’écart des affaires maçonniques, peut-être à cause de ses frivolités, il gagna le continent où il se retrouva Grand Maître de la tou­te jeune Grande Loge de Pariso; avant de finir sa vie en Espagne.

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